Rayon vert

Il me frappe depuis l’enfance, je suis un de ceux qui ont lu tout Jules Verne – J’aurais aussi lu Tout l’Univers. J’ai été élevé dans une morale scientiste, j’avoue que je l’ai choisie. Le rayon vert était une de ces promesses qui s’oublient vite. Un de des miracles dans les romans d’aventures.

Les années viennent, je le découvre un jour de printemps avec deux amis. Cet éclat miraculeux, la promesse est venue. Ce soir je viens au bord de la falaise, ma fille a dix-huit ans et cligne de l’œil au dessus de l’horizon. La physique rejoint la magie. Une seconde fois n’est plus un miracle. Plus qu’une illumination le rayon vert est un passeport.

Une tâche émeraude, l’instant d’une seconde ou deux. J’ai dit : ahh. Rien de plus, léger et subjugué, La magie de l’optique rejoint celle du cœur. Un point unique, comme le sont les pierres dans le hasard des pressions et des chaleurs, un cristal suspendu à l’horizon, cette verte lueur que la littérature et le cinéma ont longuement préparé.

Les mers ici au coucher du soleil marient le titane et la forge, des écailles de géant, le rougeoiement des hauts fourneaux, et le bleu irisant du métal bleui. Le ventre noir des vagues se tend sur ce tapis et l’écume qui se vide précipite les couleurs dans un bouillon doré. Nos brasses dans les ombres sont des danses d’alchimistes.

Cet éclat dans le haut des chemins, juste assis sur une bordure de pierre. Ce rayon qui efface la baie, et le corps qui est là, d’un seul coup léger, une pierre ponce, une communion. Les villes de pirates aiment sur leurs épaules des couvertures de laine, mais rien d’autre qu’elles ne préfèrent que de se coincer dans un angle de pierre et regarder l’horizon. On y sait les miracles qui peuvent en surgir.

Aucune ville n’est une ville si elle ne possède une falaise, un observatoire, une tourelle. Aucune vie ne vit sans rayon vert. Ce signe ultime à l’extrême horizon.

Ma fille bât des ailes. Je ne crains pas son envol. Je lui espère de voir le rayon vert et voir que les miracles se rendent sans raison, se donnent à qui ceux qui écoutent, illuminent sans prévenir.

La palombe fonce au sud

Franchir la France à tombeau ouvert

La fenêtre au vent des campagnes

La Palombe bleue à 100km heure

Va

Et je suis seul

Dans ce compartiment

Aussi grand qu’un vaisseau de l’espace

Franchissant les Aubrais

Puis traversant la Loire

D’un élan vers les Landes

Ignorant la Charente

Tours et la Gironde

L’air qui fouette

Les bruits de machines

Entrent dans la cabine

Comme des vols d’étourneaux

Je cours à l’océan

Ignorant les messages qui crépitent

Ah que le luxe est pauvre

Et qu’il est bon

Quand suffit de relever deux couchettes

Pour retrouver le goût du livre

Allongé sur le dos regarder au plafond

Des éclats de lumières

Le feutre des boogies dans un ralentissement

Le chuintement de l’acier qui roule

Je devine un capitaine en avant

Ivre de sa nuit

A mener un train d’acier juste à l’heure

Il contemple les sinuosité

Des citernes en chenille

Des litanies de minerai

Des tombereaux de lait

La nuit

Ce sont les matières qui circulent

Et qui viennent à l’aube

Nourrir les usines

La voiture qui grince

Les ondes nous traversent

Ainsi que les foins qui murissent

Un vent chargé d’odeur tourbillonne

Et le travail d’une fabrique

Saisit les narines

Le métal chauffé des parfums d’huiles

Plus loin dans la plaine obscurité

Résonne

je devine les étoiles

L’effluve de la terre et de l’orage

Une halte sans mesure

Un quai baigné d’une clarté jaune

Clignotent d’impavides sémaphores

Dans ce silence

Le monde change

Ce qu’il était demeure

Juste le temps d’attendre

Fumer une cigarette à la portière

Guetter de rares silhouettes

Juste un moment de grâce

Un exception

pour en vivre la saveur

Et revenir dans l’habitacle

Allongé sur la couchette,

Les yeux mi-clos,

Et le nez affolé

Je sens sur mon visage

Le froid de la nuit qui s’avance au matin

Le corps ronronne sous la couverture

Au rythme de la machine

Je m’endors

A gauche : les forts doivent aider les faibles

Les aléas d’un d’un destin semblent menacer le destin d’une idée. Un homme providentiel semblait surgir, il a les mérites d’une belle idée de la liberté. Celle de jouir, et de ce point de vue c’est un bel exemple de notre héritage le plus fort, celui du libertinage. Saluons cette idée, Sade en a subit les conséquences.

Qu’il soit pris au piège de sa testostérone, ou simplement d’un coup monté, ne change rien. Il souffre ce que vivent des millions d’emprisonnés. Ceux qui vont en prison ne sont pas les traitres du droit, mais ceux qui s’égarent dans les limites des normes. Injuste ou non, le destin des peuples ne se résoud à celui des aventures, mais à l’épreuve de la norme.

L’essentiel est ailleurs, il est dans un projet de société. Que souhaitons nous ? Le dictact des classements, des rangs, d’une aristocratie recomposée qui compose dans l’argent et les titres la force de son hégémonie, ou cette société ouverte qui donne aux aventures le bienfait de faire venir à sa tête ceux qu’on attendait pas. Choisissons-nous la médiocrité de l’excellence ou la beauté de la diversité ?

Je ne veux pas de l’Amérique, de cette démocratie cruelle qui emprisonne un citoyen sur cent. Je préfère cette social-democratie asthénique qui préserve tous ses enfants, y compris les débiles, les faibles d’esprits et de corps, celle qui refuse le progrès pour maintenir le bien-être de ses plus faibles.

Nous hésitons en Europe, malheureusement, quand le monde entier rêve de nous. D’un monde juste et reconnaissant, d’un monde qui met sur le bord des autoroute des piste cyclables, d’un monde qui donne aux démunis le moyen de vivre, d’un monde qui fait de la santé et de l’éducation des enjeux qui ne dépendent pas de la richesse.

Nous avons inventé un monde qui est l’espoir du monde qui est en train de naître. Nous avons été ceux qui pourtant ont pillés les richesse d’ailleurs. Ayons cette honnêteté d’avoir inventé un autre monde et la responsabilité d’en avoir détruit beaucoup d’autres. Notre projet politique a traversé l’esclavage, le totalitarisme, toutes les épreuves de l’histoire. Il nous a amené, exsangues, à cette idée simple que la cruauté de la démocratie doit être combattue si elle se fonde sur la seule propriété et la seule loi du marché. Nous en avons vécu les folies. Nous avons pensé aussi qu’il faut redistribuer la richesse.  Nos douleurs ont ceci de bon que nous avons découverts aussi la bonté, nous pouvons être au pied du tribunal avec la vertu d’avoir trouvé une forme de raison.

Cette idée est la plus belle des idées. Ceux qui s’enrichissent ont une dette envers les autres. Car leur richesse vient de ce qu’ils ont volés. Nous respectons leurs actes de gloire, nous respectons leur victoire, mais le prix à payer du triomphe est de donner à chacun les moyens de vivre. Que la compétition règle l’ordre de la société n’est pas une chose que l’on conteste, mais le devoir de ceux qui gagnent est de rendre.

Aucune société stable ne peut se faire sur le dos des autres. C’est l’idée essentielle qui est au cœur de la responsabilité sociale. Soyons nous à droite ou à gauche, choisissons nous l’ordre du mérite ou du besoin, la seule vérité est que lorsque la société génère des faibles, les forts doivent leur porter secours.

Bibliothèques

A quoi se comptent les vies ?

La mienne à du papier

Des tonnes de thèses

Des kilos de livres

Des cahiers en grammes

J’ai pris si peu de notes

Dans cette vingtaine

Qu’aurai-je appris ?

J’apprend que j’ai tout oublié

Ces livres en piles

Que j’ai lu

Il n’en reste rien

Des mémoires fragiles

Des notes incompréhensibles

Nous passons des années à apprendre

Ce qu’on oublie

Je garderais des livres

En en jetant la moitié

Je ne les lirais plus

Ils seront des fétiches

Au rayon de la chambre

Dévalant l’escalier

Et coincés dans les creux de la cave

Ils seront les pierres de mon tombeau

Des briques dont je connais le four

Tenant les étagères dans leur empilement

Et je me demande à quoi sert d’écrire

Si le destin est de se couvrir de poussière

Je tousse à remuer la bibliothèque

Sans rien me souvenir de ce que j’en ai lu

Je dresse des totems à une connaissance perdue

Je ne lirais plus rien des volumes qui se dressent

J’ordonne un cimetière

Mais où sont les idées

Et où est ma pensée ?

Fallait-il lire tant pour enfin voir

Que les idées se perdent et que la pensée

A si peu besoin des livres ?

Elle se suffit d’un rocher

d’une mer triste que rompt le vent

De cet accroupissement au dessus d’une flaque

et des heures passées à regarder le soleil s’effondrer

A la nuit quand le froid et les phosphorescences

Amènent à revenir au bar du rivage

Entendre le bruit de passions inutiles

La vie d’une victoire

Une épreuve sportive

qui emporte dans le vent

L’illusion de la gloire

Les livres parlent moins par le texte

Que leur lente accumulation

Ils rappellent une histoire

qui s’échoue

sur la grève

Aucun livre ne sauvera de la mort

Nos bibliothèques sont ces statues de Pâques

Des mystères insensés que rongent les vents