Les bars – près des gares.

12678812373_bb8097a6b8_cIl en est autant de sortes que leurs population. Ils se distinguent souvent plus par la musique que par l’arrangement du zinc. Ceux qui s’y accoutrent ont rarement le même profil et la même dignité. Ils n’ont pas envie de se ressembler même s’ils s’accoudent pareillement au même comptoir.

Les bars délivrent la bière, l’alcool, un air de rock, des cloisons habitées. Autour du bar s’enchaînent des discussions imprévue. Face à la rue, le bar est aussi un soulagement. Un point d’arrêt et de repos. Entre deux métros.

Il y a ceux autour, et parfois deviner un caïd, un artiste du braque, un beau trafiquant. Un qui ne dit rien mais fête la rencontre. L’espace d’un instant voudrait-il être n’importe qui qui boit une bière avec un touriste. Il y a ceux du passage, des étudiants, des musiciens, des coiffeuses, quelques banquiers.

Les bars se distribuent autours des gares et s’ils accueillent les habitants de la rue, on y débarque des sacs avant de trouver un hôtel, ou après les y avoir laissés, on vient dans un temps d’arrêt prendre l’idée de la profondeur de la ville, y demander des premières indications. Respirer un bon coup avant de plonger dans l’urbanité.

Les bars traînent dans la rue.

Paris, les rues sont vides

12976761074_50fc7bbe0dQui sommes nous ? Des drapeaux ou des fatigues ? Et d’un jour d’une fausse rentrée. Rentrer où ?Rentrer avec qui ? Ceux qui reviennent de vacances ? Quelles vacances ? Se retirer de la société ? Des normes ? Des contraintes ? De ce monstre auquel on se soumet car demain demain dépend de sa générosité ?

Une fausse rentrée. Les rues de Paris sont vides, et les bureaux bien plus. Mais sur les deux lignes qui traversent la ville, la A et la B, deux suicides. Ils ne sont pas les premiers ni les derniers, ils deviennent des régularités. Quand la rentrée est impossible on se jette sous le train et chacun le sait, la régularité a trouvé sa dénomination dans la novlangue : «  un incident de personne » qui paralyse généralement pendant deux à trois heures la circulation de dizaines de milliers de personnes, plus aux heures de pointe. Il amène chacun à bricoler, changer de ligne ou patienter, tromper les couloirs et se confier aux taxis – s’ils sont là. Le digital facilite le contournement, des cartes publiques sont consommées sous le manteau et c’est dans un silence prolongé que chacun s’arrange avec l’incident.

Chacun dans son alcôve méprise son voisin et cultive l’idiotie de résoudre ce qui nous intrigue, ne nous intrigue plus, mais nous gêne, dans cette idée étrange d’une étrangeté qui ne mérite aucune curiosité. Ces chacuns enquêtent et ne nous comprennent pas.

Nous dressons des drapeaux sans croire à ce qu’ils signifient. Nous brandissons des signes sans souci de leur signification, c’est habile. Ils le font plus vite et plus massivement que nous. L’uniforme des soldats, la tenue des footballeurs, l’apparat des pom pom girls, des nœuds papillons. Cela permet de changer de signe aussi vite que l’intérêt immédiat le commande.

Un intérêt qui d’ailleurs n’est rarement le notre, à moins qu’ils ne se confonde à la fatigue, cette immense fatigue qui vient de ce que nous faisons obéit moins au calcul de l’espoir qu’à celui de l’évitement. Le troupeau avance évitant ronces et orties sans s’inquiéter de la falaise où il va s’effondrer.

Nos grands drapeaux sont moins des cerf-volants que des parapluies.

Kebab

Les frontières, notre monde les distend, les retourne comme des baudruches, les tords et les essore, notre monde est un nœud de frontières mêlées, et la pelote parfois se fond en un objet nouveau. De cette idée me vient un exemple modeste. Il peut être multiplié à l’infini.

C’est celui d’un Kebab que je fréquente parfois à Belleville, identique aux autres il n’a d’avantage que celui de mon observation. On connait tous les kebabs, cet empilement de viandes rôties qu’une lame souple découpe en maigre fragments. On y devine la coutume d’une cuisson au feu qui s’est réduit au grésillement d’une résistance électrique. La tradition doit céder devant la modernité d’autant plus qu’elle cède à l’obligation rituelle d’une homologation religieuse.

Le pain y échappe, et si à Bruxelles on continue de le fournir dans les pitas, à Paris c’est un pain blanc réchauffé à la salamandre qui le plus souvent fait office de contenant. Dans ce coin de Paris une variante s’est imposée, la crêpe mexicaine reçoit l’approbation des mangeurs, mais aussi celle des préparateurs. Eussiez-vous pensé que la tortilla mexicaine puisse rencontrer la viande turque et être assemblée par des marchands tunisiens? Mes clients en cet endroits sont pour la plupart africains. Je n’en connait pas les origines. Ils ont entre 15 et 25 ans, sont des gaillards qui franchissent le mètre quatre vingt dix, sont affamés comme le sont tous les adolescents. Et ils commandent des grecs!

Ils se régalent de pain, de mayonnaise de viande, accessoirement d’épices, ce goût là est leur seul héritage de leur parent. Dans les variante, un sandwitch a du succès, quatre tranche de pain de mie Harry’s entre lesquelles, légèrement grillées, s’intercalent l’oeuf, des steacks hachés. Le Sandwich anglo à pris ses marques là où l’on attendait que la kesrah farcie. Mais il en est une autre, plus étonnante, le poulet est chika, un goût d’Inde dans une enveloppe occidentale. Les frittes dans leur cosmopolitisme intransigeant accompagnent tous les menus.

La surprise n’est pas que dans le mélange des ingrédients et des modes de cuisson. A ce stade c’est l’illustration du post-modernisme le plus timide. Celui qui dresse en art ce goût du mélange, cet art colonial, qui marie l’impérial au goût local. Le gin et les pickles, le pastis et la khémia. La surprise est que les destinataires de cette nourritures n’en sont pas les inventeurs. L’arrangement inventif se destine à d’autres consommateurs.

Mais plus encore, c’est que l’ordre culinaire ne se construit pas dans l’ordre des goûts mais de celui d’un art populaire qui bénit l’abondance ici et ailleurs. En cet endroit précis ce ne sont pas les particularité de goûts ou de production qui font la différence, mais une culture de la quantité pour un prix modique qui fixe la foule continue des clients.

Dans la singularité d’un lieu se mêle donc l’universalité biologique de l’appétit, la contingence des migrations, l’interaction des modes de production, à la croisée des rues le monde se réinvente riche de toute ses ressources. Le téléviseur au-dessus de la caisse passe en boucle Beyoncé et Lady Gaga. Des voitures s’arrêtent, ne commandent pas, elle livre la portion de hachich qu’aucune boutique n’est en droit de livrer mais qui désormais fait partie de l’ordinaire de la consommation. Le kebab épicé est si bon accompagné d’un coca glacé, après le  joint. Bonheur de pauvre. La joie simple d’une bande de garçons.

Aucun d’eux n’a voyagé, ils viennent des immeubles aux alentours. Leur avenir a des horizons restreints entre conneries et manutention. Un ou deux seront chefs de rayon chez Ed, l’un se retrouvera en prison, l’autre achètera un commerce. C’est une vie de quartier mais se précipite dans leur bouche toute l’histoire du monde, une histoire récente et frémissante.

La palombe fonce au sud

Franchir la France à tombeau ouvert

La fenêtre au vent des campagnes

La Palombe bleue à 100km heure

Va

Et je suis seul

Dans ce compartiment

Aussi grand qu’un vaisseau de l’espace

Franchissant les Aubrais

Puis traversant la Loire

D’un élan vers les Landes

Ignorant la Charente

Tours et la Gironde

L’air qui fouette

Les bruits de machines

Entrent dans la cabine

Comme des vols d’étourneaux

Je cours à l’océan

Ignorant les messages qui crépitent

Ah que le luxe est pauvre

Et qu’il est bon

Quand suffit de relever deux couchettes

Pour retrouver le goût du livre

Allongé sur le dos regarder au plafond

Des éclats de lumières

Le feutre des boogies dans un ralentissement

Le chuintement de l’acier qui roule

Je devine un capitaine en avant

Ivre de sa nuit

A mener un train d’acier juste à l’heure

Il contemple les sinuosité

Des citernes en chenille

Des litanies de minerai

Des tombereaux de lait

La nuit

Ce sont les matières qui circulent

Et qui viennent à l’aube

Nourrir les usines

La voiture qui grince

Les ondes nous traversent

Ainsi que les foins qui murissent

Un vent chargé d’odeur tourbillonne

Et le travail d’une fabrique

Saisit les narines

Le métal chauffé des parfums d’huiles

Plus loin dans la plaine obscurité

Résonne

je devine les étoiles

L’effluve de la terre et de l’orage

Une halte sans mesure

Un quai baigné d’une clarté jaune

Clignotent d’impavides sémaphores

Dans ce silence

Le monde change

Ce qu’il était demeure

Juste le temps d’attendre

Fumer une cigarette à la portière

Guetter de rares silhouettes

Juste un moment de grâce

Un exception

pour en vivre la saveur

Et revenir dans l’habitacle

Allongé sur la couchette,

Les yeux mi-clos,

Et le nez affolé

Je sens sur mon visage

Le froid de la nuit qui s’avance au matin

Le corps ronronne sous la couverture

Au rythme de la machine

Je m’endors