Balthazar

10805700726_bc00ed6867Je lis les « béatitudes bestiales de Balthazar B », j’ai lu « l’Amant » et « Lolita » fut un désastre de littérature à l’adolescence qui évoqua plus de pensées impures qu’une Emmanuelle coincée entre les rayons de la bibliothèque maternelle. Ce désastre fût un coup de génie. Je retrouve dans les béatitude ce trouble qui va des frontières de la mer de chine jusqu’aux rives du lac de Van, car après tout, l’oeuvre scandaleuse est moins dans lolita que ‘Ada ou l’ardeur ».

Voilà qui suffit à me rappeler qu’il fût un temps le fantasme de la tante, d’une grande cousine, où de cette visiteuse courtoise et hardie, se cultivait dans des pages dissimulées. Assez pour me faire réagir à cette assertion douteuse d’un prêtre américain que souvent les enfants séduisaient le corrupteur. Rien que de dire que la littérature peut soutenir les premières interrogations d’un garçon et nourrir ses rêves onanistes. Un souvenir suffisant pour se rappeler que nos actes sont moins une réponse retardée aux variation de notre environnement, qu’un début d’imagination qui se produit au moindre de ses fasseyements.

J’avoue qu’au souvenir de ces rêveries érotiques qui dussent débuter à mes onze ans, l’intention peut souvent être là dans l’esprit des enfants, même si je doute qu’ils maîtrisassent les techniques de la séduction et de la volupté. Je m’étonne que lorsque la littérature plonge dans l’adolescence, elle s’empare d’une claire vérité, disant cet amour consenti, la chair qui rencontre des sensualités mieux définies. Le trésor de l’imagination est de s’emparer de citadelle qu’on a pas encore entr’aperçue.

Balthazar perd sa virginité avec plus qu’une nurse, une sorte de nourrice. Sa mère absente, de l’amour il découvre la soie de son ventre, le délice de ses baisers, et sa bienveillance quand il jouit entre ses seins. L’amant de Duras ne fût pas un père, mais cette frontière qu’on saute avec liberté, donnant son corps et refusant l’amour, découvrant l’amour dans ce qu’on a refusé. Mais la perversité, c’est Nabokov qui l’écrit, un entomologiste. L’amour se pique comme un papillon, une fois dans le filet. Séchée , il trouve l’éternité dans des boites vitrées. Son érotisme réduit en vignettes, une touffe d’algue sous le bras, le soleil brûlant et l’iode des coquillage.

Des amours interdites. Des amours de circonstances. Des histoires de contingences, dans l’irrégularité de la règle qui jaillit comme le tourbillon du torrent. Une maison trop vide, des rues trop attirantes, des recoins, des alcôves. Ces secrets susurrés dans les chemins creux, des aveux. Le mystère. Là vie qui vient quand elle vient. Un premier baiser, la main attendrie qui presse un sein frileux et palpitant.

Nos règles sont sévères, vicieuses, elles sont les liens qui serrent nos chairs, de plus en plus fort, de plus en plus précises, mordant la chair. Des règles perverses qui font d’un pont ce recoin, d’une place un alcôve, de la rue une porte de prison. Et font bâtir des murs et construire des cavernes, creuser des églises dans la pierre du monde, évider des espaces auxquels on n’avait pas penser. Le couloir d’un train de nuit, une arrière cuisine, un trou dans la falaise, un buisson dans le lit de la dune.

Je pense parfois que le drame de notre société et qu’à haïr les marges son souci réduit à les intégrer. Pensez-vous que seule norme puisse assujettir ceux qui en sont l’objet ? Pensez-vous que l’effort du censeur puisse contenir le débord ? Dans l’histoire du désir la règle est toujours en retard. Et que des amours très coupables soient condamnées, c’est la preuve qu’avant l’ordre il y a l’amour. Cette double imagination qui se réduit avant que ses doigts se touchent.

Avant même de brûler, il s’enflamme dans les bibliothèques. Il se nourrit entre les pages et les rayonnages. Il s’imagine avant de se rendre au réel d’un baiser, de corps qui se pressent et de bras qui enlacent. Il flambe aussi longtemps que des livres sont livrés à son feu et que celui qui s’y réchauffe renonce à quitter la table de lecture.

  • Don Leavy (1968)  » les béatitudes bestiales de balthazar B »
  •  Marguerite Duras (1984)  « l’amant de la chine du sud »
  •  Eric Losfeld (1959)  » Emmanuelle »
  •  Nabokov (1969)  » Ada ou l’ardeur »

Critiques – au moins deux qu’on aime

7758514862_2c28930887_cLa critique littéraire est un art difficile. Elle plante ses crocs dans un chairs déjà morte ou jubile des mots qu’elle ne prononce pas. Elle exprime une langue dans un produit dérivé, suçant le corps du texte pour expirer une parole qu’elle n’a pas. C’est bien difficile pour la critique d’être littérature, il lui manque le squelette, la chair et le souffle. Il lui reste à donner ce qui pourrait être la grandeur du bourreau qui tranche la tête du criminel ou la joie du rémora qui chevauche les requins, sur leur ventre. Faire des restes un festin et s’en contenter.

Il en est deux qui me donne à penser et cette jouissance qui marrie l’intelligence au dialogue. Assouline et Stalker, l’un cabotine quand l’autre ferraille. Un gentil et un méchant. Un même goût de langue, un aplomb similaire. L’un manie le couteau et l’autre la machette, l’un est Apollinien quand l’autre se drape de nuit et de solitude. Les deux sont méchants.L’un tue avec le sourire et l’autre avec acharnement. Pour le reste il sont très différents.

J’aime chez Stalker cette méthodique mauvaise fois qui le conduit non pas à forcer le trait, mais à repasser le trait dix fois, comme s’il devait convaincre de sa détermination. Je reconnaît dans l’opiniâtreté de son style, et de ses boursouflures, qu’à réputer les saignées il fait preuve de moins de cruauté que d’égotisme. Ses coups de canifs visent moins à faire mal qu’à donner la preuve de ses intentions, et dans les répétitions ils fait preuve de formules réjouissantes, son style est finalement une adaptation d’un procédé du comique à l’art dramatique. Ce misanthrope nous ravi dans l’acharnement, on ne voit plus l’objet qu’il déchire mais son obstination à déchirer une chair qu’on fond il néglige.

J’aime chez Assouline le jeu léger du pigeon qui chie sur les colonnes, du titi qui voletant sur le marbre, trace dans l’azur des œuvres les révérences que l’on leur doit, et la griffure nécessaire du vent dans leur reflet. Un œil amoureux qui papillonne sans omettre le moindre grain de beauté sans le confondre aux points noirs qu’ils presse avec volupté. Il est bon quand l’oeuvre est bonne, il milite pour une littérature si variée qu’on en oublie les condition du choix.

Ils sont deux lecteurs, qu’on laisserai ivres s’écharper sur la fontaine communale. Deux ardents qui inondent leurs abords des feux de la lecture.

Soulages ou l’échec de la peinture

  Je visite l’exposition Soulages à Beaubourg . La chose est belle, abstraite, terriblement classique. Une maîtrise japonaise, peu d’émotion, juste l’exposé théorique d’une belle conception.

Et au final un effort opiniâtre à pousser aux extrêmes la peinture et ne lui offrir de perspective que celle de mourir pour se rendre aux autres arts : la musique, l’écriture, la sculpture. Dans cette monomanie de la couleur – il a choisit le noir – nous avons connu d’autres, un Yves Klein avec bien plus de flamboyance. Des Malévich. Le seul talent de Soulages est d’avoir survécu à la monomanie, et de produire encore quand les autres en sont morts.

J’aurais aimé sa première période qui dessine dans un rythme impérieux les formes de ces signes qui font une langue en chine et au japon. Le geste du peintre rejoint le calligraphe, et l’encre de seiche rejoint le noir le plus profond, des encres d’imprimerie, de l’huile et de l’acrylique. D’un geste il forme des beautés qui parle d’ailleurs sans en connaître la langue. Ah le geste, pur, le geste du peintre.Et cette exigence d’être contenue.

Mais à cet âge qu’encense les musées, dans la coquetterie d’un art éculé, ces formes, belles pour un salon bourgeois, respirent l’académisme le plus puant, cet échec magistral qui nait de la main d’un maître. L’échec de la peinture. Non, ce n’est pas son échec, l’échec d’une aventure. L’abstraction, fût-elle lyrique ou non, cette idée que dans la forme on puisse faire des formes.

L’ironie est que cet échec, magnifique, se traduit par un art qui aspire à d’autres formes. Racontez moi qu’à la crête de la forme noire c’est la lumière qui est attrapée. Quand la peinture voulait être d’elle même la lumière, j’y entend le langage de la masse. Et qu’à coups de truelle on marque la chair du noir de creusements répétitifs, ce n’est pas un triomphe de peinture, juste l’impotence qui fait de la masse noire le prétexte à des sculptures.

Et il gratte le Soulages, cette chair de noir, dans ce double langage du brillant et du mat, laissant sur la peau de la toile des sillons qui pourraient être ceux de vieux vinyls. Je doute qu’un diamant puissent les faire parler et chanter. Ces stries sont bègues. Et d’autres qui abandonnent entre deux brossées de noir, un espace blanc colonisé de volutes aléatoires, dessinent une partition qu’aucun artiste n’interprètera.

Il reste des œuvre à la plastique pure, à l’émotion avortée, qui annonce l’écriture, cette d’une poésie rare, d’un musique raffinée, mais qui restent silencieuses, formes figées d’un art pour l’art, un rien majeur et académique, une abstraction théorique, des formes dont la vertu démonstrative sera de conduire quelques artistes vers un autre langage plastique. Ils s’en sont emparés depuis longtemps, et de voir ces toiles biens huilées dans un musée, nous font penser que l’art est mieux mené par la rosette que par l’inspiration.

Notre méchanceté a des limites. Ces limites sont qu’en dépit que de ses faiblesses, de cet échec de la peinture, Soulages approfondit une idée qui n’est pas la sienne, celle d’une peinture qui oublie son sujet, et se fasse dans la pureté de son geste.

L’accumulation de ses œuvres en un même endroit, démontrent que l’obsession loin d’ouvrir un nouveau monde, peut enfouir une aventure dans le rien de la répétition. Le talent le plus grand parfois nourrit le néant, il ne suffira pas de superposer les toiles pour faire jaillir l’éclair, les tryptiques qui veulent briser la surface, réinvente la monotonie. Cette monotonie obsessionnelle des ongles rongés, des affiches déchirée, du noir qu’on étend sans pouvoir recouvrir le monde du noir.

La beauté de Soulages ne vient au fond moins de son intention que de son échec, cet échec de la peinture à couvrir le monde de sa noirceur.