J’aime l’idée fraiche…

J’aime l’idée fraiche comme la rose

Simple comme le pain

Une idée brulante

Comme un baiser au soir qu’un jour a attendu

Sous le soleil et les pierres

Une idée qui dissipe la fatigue

Et se répand en ondes délicieuses

De la tête au ventre

Saisissant la main

Dessiner son visage

J’aime l’idée qui se détache du corps

Sans ne rien lui ôter

Presqu’une sueur évaporée qui nimbe

Le travail silencieux de la chair

L’idée est l’illusion de l’âme

Courant d’un corps à l’autre

Se séparant pour unir

Son évidence oublie

le travail de sa naissance

Chaque rose est rose et chaque pain est pain

L’idée est ce qui se libère de chaque chose

Dans le concert du plaisir

J’imagine cette physique des choses

Où l’idée n’est ni nature ni essence

Mais la chose qui se délie en une forme

Et l’énergie d’une jouissance

Et où les corps se forment

Dans l’élan d’un amour

Le temps étiré

Il suffit de distendre le temps

Pour embouriffer l’espace

Le temps des temps modernes

Ne sait rapprocher les villes

En pressant les Buildings

L’un contre l’autre

Il a des artifices

Pour réduire le temps

Passer à travers les distances

Un hélicoptère ici

Un train rapide ailleurs

Le lacis des transports

Cette dentelle indécente sur la peau de la ville

Et il corsette le paysage

Sous des pluie fouettantes

Amenant au moindre vallon

n’importe quel valet

Un monde pouvant se réduire

A des triangles urbains

Que jouxtent les aéroports

C’est dans les rues que se forment les plus belles distances

D’un bord à l’autre et souvent d’un pas à l’autre

Parfois juste le geste d’une main

Si proches si pressées

Nos distances se tiennent à moins du centimètre

Des vortex se fraient au travers de l’ici

La ville se déforme

Dans des tourbillons d’averses

Des torsions maitrisées

Dans l’allure des immeubles

Là des cartes, des rues,

la travée des boulevards

Ces cercles éprouvants

Qui ceinturent la capitale

Il reste à raconter

Comment les signes réduisent

L’histoire et la géographie

Des cendres qui se déposent

Sur les chemins où l’on marche.

Ni temps, ni espace, les mots suspendus

des images aussi,

Ce dessin qui met le monde à la taille de l’oeil

Il suffit d’ébouriffer le temps

Pour distordre l’espace

Faire venir ici ce qui est loin

Projeter bien loin

Ce qui nous était proche

Il suffit de planter des signes

pour supprimer le temps et abolir l’espace

La poussière du savoir

Enneige nos paysages

Il reste la rue, des arômes

Cette bière au comptoir

Pour mesurer le temps par ses silences

et compter les distances de nos pas.

Aganju

ILE OPO AGANJUComment sommes-nous marqués par les images?

Dans leur multitude en choisir une qui soit attachée de manière très intime et assez allégorique pour que nous lui prêtions qu’un mythe nous pénètre. Les images sont nombreuses, mais les attributs qui incarnent les héros sont rares.

Il peut s’agir d’un prénom. Christophe. Ce saint de Lycie qui fît franchir le fleuve à un Christ enfant. Ce pont humain. Drôle de figure quand on contemple les vagues. Le regard fixé sur cette fin de l’onde, sur les plis et surplis des limites.

Calculer l’angle au repère de l’horizon. Les mots jettent leur portée par delà le ciel. C’est un pont aérien. Face à l’océan il n’y a pas d’autre rivage pour que s’y jette la travée. Pourquoi le monde pèse-t-il plus quand on le franchit?

Que le corps avec l’age épaississe et il entre dans celui d’un géant, aux épaules si fortes qu’elles portent le poids du monde en plus de celui de l’enfant, à chaque pas plus lourd. Ce n’est pas l’espace qui pèse mais l’histoire. Qu’après l’épreuve des fruits jaillissent de son bâton donne l’idée que les ponts plus que traverser le fleuve ensemencent ses rives. C’est la vie qu’il transborde.

Je porte dans cette image, comme le destin dans une main de tarot, une idée de l’amour qui plus qu’une confusion est ce pas assuré dans le tumulte des courants, un bâton planté dans le trou des rapides, la marche obstinée vers l’autre rive, un passage à pied. Atteindre enfin la berge, et s’y effondrer de fatigue.

Les ponts viendront plus tard, quand allant et venant, les habitants des rives porteront des pierres en travers des flots, suspendant sur des piles; une voix et un commerce. Pour bâtir des ponts, il faut d’abord traverser des frontières. L’eau glacée qui bouillonne dans les reins, avancer, marquer, préparer, lutter. Des perches posée au tiers de la cataractes, pour signaler les piles à édifier. Les ponts ne sont qu’une idée. A travers l’atlantique.

Ce saint porteur et transporteur se transporte dans le corps d’Aganju le navigateur, celui qui connait les passes, le dieu des grottes, un volcan qui parcoure le désert, la force régénératrice qui retourne le monde en le traversant. N’est-il pas le dieu de l’espace aussi? Par delà l’océan. S’il n’a pu franchir d’un pas, au moins a-t-il pu se dédoubler.

Les saints et les orixas, double visage d’une même figure à la force accablée, à la vitalité inaltérable, à la nécessaire modestie de ce qui ne permet que des possibles.

Aimer n'est pas connaitre

Ah mon amour

T’aurais-je aimée

Si je t’avais connue?

Puis je te connaître puisque je t’aime?

Ah mon amour

Peut-on penser quand on s’aime

Croire qu’on s’aime?

Faisant l’amour

Pense-t-on savoir

Qui est l’autre dans nos bras?

Aucun savoir ne fait l’amour

Mais nos bouches mêlées

Sont assoiffées de savoir

Ton sexe dans ma bouche

Est un bonheur tu sais

Mais il n’est pas la science

Mon amour

Aimer d’abord

Et demain connaître

L’amère condition

Du savoir

Ce pas immobile

Qui voit les mots mourir

Et ne peut tendre un bras

A ceux qui se noient

Crois-tu que d’embrasser tes larmes

Je sais plus sur le monde

Que mes belles lectures

Quand dans le hasard d’un monde

j’ai rencontré ta bouche

Aucune science n’a guidé mes mains

Et depuis que j’ai caressé tes seins

Je comprend le monde

J’en devine les desseins

Malandro

zepilintra
C’est son sourire qui flotte, quand à l’hôtel où il vit, les fusillades ont réglé les comptes. Il est sorti avant qu’arrivent les tueurs, et sur la piste invite des dames poudrées et frétillantes. Il ne sait où il va dormir ce soir. Il danse par plaisir et par profession. Comment savoir demain? On verra bien.

Ce malandrin, malin. Dans la rue peu d’issues, glisser d’une affaire à une autre, se sortir des risques, corrompre le commissaire, et les fleurs au veston saluer les bourgeoises et féliciter les élus, il va de l’un à l’autre, une bise, un serrement de main, il triomphe et encourage pour filer sans rien dire dans le pli des coulisses. Il va de place en place, connu et pourchassé, une musique au cul, un frisson dans la jambe. S’en sortir dans l’impossible est son pain quotidien.

On l’imagine dans les ruelles, les femmes aux trousses, les flics aux croisements, sauter d’un toit à l’autre, et dans le coin d’une ombre trouver une sortie. Le malin connait toutes les issues, il perd en gagnant, et ne perd jamais, il ne fait que se sauver. Il joue, et perd des fortune au tapis de la vie. Toujours se retourne, la main qui vole et le coeur qui bénit. C’est un sauvage des villes.

Il a le cœur des amis, et porte la trahison au revers du veston. Ses jambes sambent et son cœur sautille, ses baisers brulants se glacent dans la fuite. Il tire un chapeau qu’il perd en se sauvant. La rue, la rue, le tente et le maudit. Sur les avenues il rayonne, avec ses habits de prix. C’est dans les courtines qu’il trouve le repos. Une logeuse attendrie qui efface l’ardoise de ses loyers.

Il boit sans fin, l’or de la cachaça, et l’argent de la coca. Les lumières dans les ruelles sombres ont l’éclat des glaces antarctiques, scintillent, son ivresse lui donne des vertiges lucides. Il pleure dans des chambres de bonnes, le visage noyé dans des cuisses noires. Ses amours très tendres aux festons de la nuit bercent des désirs brutaux. Il se ruine la vie dans le sein des femmes, et des caresses humides. Il laisse ses enfants grandir dans la poitrine de ces femmes d’une nuit.

Il fascine des ministres, enthousiasme les seigneurs de guerre, il patronne les bars et induisant de belles affaires, s’en échappe aussitôt. Cet humble qui brille n’est pas bête. Les victoires sont des illusions, et il ne connait rien d’autre que le triomphe d’un instant. L’oeil triste qui s’accroche aux miroirs, au fond il rêve d’un cours accroché aux moros, une terrasse pauvre, l’embrassade d’un mère morte trop jeune. Il est pauvre toujours même quand une mer de billet lui traverse les doigts.

D’un coup de rein il ressurgit sur la scène des ivresses. Il sambe, il glisse, malin, chaque jour demain gagner plus pour perdre après-demain. Un génie incertain. Et s’il ne gagne rien, au moins il sera nourrit de l’amour.

Ainsi est le malandrin, ce rien qu’aime un peuple. Ce rien qu’aime une nation. Habitant les chansons, le théatre, le cinéma, il ponctue le désir, et plonge dans l’histoire des couteaux d’émotions. Ce malin, il ricane, et goberge, il blague quand la mort passe son bras sur ses épaules. Il s’en débarrasse comme on jette une écharpe. Ses bras enlacent, et ses pieds martèlent le parquet. Il se redresse indiffèrent, regardant d’un oeil triste le sourcil épais de ses assassins. Et dans le fût du canon il cherche l’écart d’un dernier bond.

Il trinque à la vie dans les bars du peuple, pique des portefeuilles, et son surin se plante froidement dans la chair de ses ennemis. Il rêve d’amours pures et sait que ses triomphes ont le goût du sang, ce malin n’échappe ni à la mort ni à l’amour.