C’est son sourire qui flotte, quand à l’hôtel où il vit, les fusillades ont réglé les comptes. Il est sorti avant qu’arrivent les tueurs, et sur la piste invite des dames poudrées et frétillantes. Il ne sait où il va dormir ce soir. Il danse par plaisir et par profession. Comment savoir demain? On verra bien.
Ce malandrin, malin. Dans la rue peu d’issues, glisser d’une affaire à une autre, se sortir des risques, corrompre le commissaire, et les fleurs au veston saluer les bourgeoises et féliciter les élus, il va de l’un à l’autre, une bise, un serrement de main, il triomphe et encourage pour filer sans rien dire dans le pli des coulisses. Il va de place en place, connu et pourchassé, une musique au cul, un frisson dans la jambe. S’en sortir dans l’impossible est son pain quotidien.
On l’imagine dans les ruelles, les femmes aux trousses, les flics aux croisements, sauter d’un toit à l’autre, et dans le coin d’une ombre trouver une sortie. Le malin connait toutes les issues, il perd en gagnant, et ne perd jamais, il ne fait que se sauver. Il joue, et perd des fortune au tapis de la vie. Toujours se retourne, la main qui vole et le coeur qui bénit. C’est un sauvage des villes.
Il a le cœur des amis, et porte la trahison au revers du veston. Ses jambes sambent et son cœur sautille, ses baisers brulants se glacent dans la fuite. Il tire un chapeau qu’il perd en se sauvant. La rue, la rue, le tente et le maudit. Sur les avenues il rayonne, avec ses habits de prix. C’est dans les courtines qu’il trouve le repos. Une logeuse attendrie qui efface l’ardoise de ses loyers.
Il boit sans fin, l’or de la cachaça, et l’argent de la coca. Les lumières dans les ruelles sombres ont l’éclat des glaces antarctiques, scintillent, son ivresse lui donne des vertiges lucides. Il pleure dans des chambres de bonnes, le visage noyé dans des cuisses noires. Ses amours très tendres aux festons de la nuit bercent des désirs brutaux. Il se ruine la vie dans le sein des femmes, et des caresses humides. Il laisse ses enfants grandir dans la poitrine de ces femmes d’une nuit.
Il fascine des ministres, enthousiasme les seigneurs de guerre, il patronne les bars et induisant de belles affaires, s’en échappe aussitôt. Cet humble qui brille n’est pas bête. Les victoires sont des illusions, et il ne connait rien d’autre que le triomphe d’un instant. L’oeil triste qui s’accroche aux miroirs, au fond il rêve d’un cours accroché aux moros, une terrasse pauvre, l’embrassade d’un mère morte trop jeune. Il est pauvre toujours même quand une mer de billet lui traverse les doigts.
D’un coup de rein il ressurgit sur la scène des ivresses. Il sambe, il glisse, malin, chaque jour demain gagner plus pour perdre après-demain. Un génie incertain. Et s’il ne gagne rien, au moins il sera nourrit de l’amour.
Ainsi est le malandrin, ce rien qu’aime un peuple. Ce rien qu’aime une nation. Habitant les chansons, le théatre, le cinéma, il ponctue le désir, et plonge dans l’histoire des couteaux d’émotions. Ce malin, il ricane, et goberge, il blague quand la mort passe son bras sur ses épaules. Il s’en débarrasse comme on jette une écharpe. Ses bras enlacent, et ses pieds martèlent le parquet. Il se redresse indiffèrent, regardant d’un oeil triste le sourcil épais de ses assassins. Et dans le fût du canon il cherche l’écart d’un dernier bond.
Il trinque à la vie dans les bars du peuple, pique des portefeuilles, et son surin se plante froidement dans la chair de ses ennemis. Il rêve d’amours pures et sait que ses triomphes ont le goût du sang, ce malin n’échappe ni à la mort ni à l’amour.