La parole poétique a cette vertu d’aller au cœur de la pensée, par un raccourci sensible, sans passer par l’effort raisonnable qui emprunte aux imaginaires et aux sciences qui s’en détachent. La parole poétique n’est pas comme on pourrait croire le fruit de l’imaginaire.
Elle en est aussi éloignée que le ressac l’est des glaciers. Leurs eaux frappent le même endroit, une falaise de roc creusée par l’eau et le vent. Mais quand l’eau du glacier y arrive c’est après un long chemin fait de dégel, de suintement, de ruissellement, de courbes savantes menées dans un espace percé de puits, pour, à pleine vitesse et pureté frapper de son flot la roche scintillante et inonder ses trous noirs.
Celle de la poésie vient des vagues, de cette oscillation creusée au large, des abimes qui en accélèrent la course, des récifs qui la ralentissent poussant l’onde vers le ciel, creusant le ventre en un tunnel profond, projetant sa voute, bien au-dessus des roches, crachant son écume sur la falaise, étouffant les trous noirs de la blancheur de sa gerbe.
La parole poétique se situe un cran en bas dans la conscience. Elle prend le caillou des mots, comme ce qui relie à la surface, le monde éclairé du langage et la profondeur physiologique de nos humeurs, les éclats électriques de la masse cérébreuse. La poésie use des mots mais c’est une pâte qui se brasse dans la noirceur de l’âme.
Une âme qui n’a pas les ailes des anges, mais se traîne dans la chimie, l’endocrinologie, une biochimie au bord de l’intelligence. Une âme noire, huileuse, à peine consciente d’elle-même. Le sourd grésillement des molécules qui parfois se figent en idées. Des idées avant les mots, que la poésie sait précipiter sur les accidents du langage.
C’est aussi la raison de sa forme lacunaire, le texte plein laisse place à l’ergot du vers. Régulier ou non, en poésie les phrases sont des éperons.