Les éperons

La parole poétique a cette vertu d’aller au cœur de la pensée, par un raccourci sensible, sans passer par l’effort raisonnable qui emprunte aux imaginaires et aux sciences qui s’en détachent. La parole poétique n’est pas comme on pourrait croire le fruit de l’imaginaire.

Elle en est aussi éloignée que le ressac l’est des glaciers. Leurs eaux frappent le même endroit, une falaise de roc creusée par l’eau et le vent. Mais quand l’eau du glacier y arrive c’est après un long chemin fait de dégel, de suintement, de ruissellement, de courbes savantes menées dans un espace percé de puits, pour, à pleine vitesse et pureté frapper de son flot la roche scintillante et inonder ses trous noirs.

Celle de la poésie vient des vagues, de cette oscillation creusée au large, des abimes qui en accélèrent la course, des récifs qui la ralentissent poussant l’onde vers le ciel, creusant le ventre en un tunnel profond, projetant sa voute, bien au-dessus des roches, crachant son écume sur la falaise, étouffant les trous noirs de la blancheur de sa gerbe.

La parole poétique se situe un cran en bas dans la conscience. Elle prend le caillou des mots, comme ce qui relie à la surface, le monde éclairé du langage et la profondeur physiologique de nos humeurs, les éclats électriques de la masse cérébreuse. La poésie use des mots mais c’est une pâte qui se brasse dans la noirceur de l’âme.

Une âme qui n’a pas les ailes des anges, mais se traîne dans la chimie, l’endocrinologie, une biochimie au bord de l’intelligence. Une âme noire, huileuse, à peine consciente d’elle-même. Le sourd grésillement des molécules qui parfois se figent en idées. Des idées avant les mots, que la poésie sait précipiter sur les accidents du langage.

C’est aussi la raison de sa forme lacunaire, le texte plein laisse place à l’ergot du vers. Régulier ou non, en poésie les phrases sont des éperons.

Crier

Ah je te crie la mer
Je te gueule les vagues
J’hurle au dessus de la brume
Je maudis les vents
J »abomine les orages
J’éructe sous la pluie
Seul sur la plage regardant l’horizon
Ah ah je rie
Nu pas même vêtu d’algues
Les genoux dans les vagues
Qui les bousculent jusqu’au torse

Je crache une colère
Simple comme le ciel
Rugueuse comme le sable
Et sans voix je plonge sous la vague

J’insulte les éléments
Poitrine dressée contre l’assaut
Et je piétine dans la baïne
Le poing dressé hors de l’écume
Jurant tout les flots de l’enfer
Crachant toutes les colères

Que puis je être autre
Que ce furieux nu dans les vagues

Qui dit non et non sans autre public que la houle qui se brise sur la grève
Mon bras lève menace l’océan
Quand le fouet des vagues
Rappelle ma condition

 

 

Au travail du monde

Et d’un coup de pédale
Nous enlevons le corps vers l’espace
Un col que l’on grimpe
Une descente folle

D’autres à l’algue d’une vague
En parcourent le ventre
Un sillage dans l’onde

Et il y a les oiseaux
Qui corrigent un angle
Pour mieux trouer le ciel

Chacun son travail
La gyre des soleils
L’ellipse des planètes

Tout ce qui tombe infiniment et rebondit
Voltige

Le peloton fend les blés
Accéléré par les relais
Imprimant dans la plaine un sillon en sueur

D’autres incisent la houle
D’un sillage éphémère
Et d’un léger repli de l’aile
Appuient  les ascendants

A chacun son travail
Au travail du monde

Septembre

Landes Oct 2013
Landes Oct 2013

Un soleil impérial
Des marées solennelles

Le vent en brise d’est
L’onde parfaite déroule
        chaque douze secondes
Frangée
        et creuse

La lumière aux couleurs de l’acier
Écailles de titane et de bronze en fusion
Le soleil

Au coucher c’est la forge en action
Soufflante et rougeoyante
En haut de la falaise
Contempler les feux de l’horizon

La bande noire et lointaine de l’océan
Couvre le silence du léviathan
Et le chant des sirènes

Et dans la nuit phosphorescente
L’ombres des méduses
Des flèches luminescentes

Les battements bleutés
Une lueur rose qui s’éteint
Des étincelles s’évanouissent

La chiure d’argent de la lune
L’or des étrons du soleil

Une pulsation,
l ‘eau en sa matière
L’organe, le corps
Des invaginations palpitantes

Le rythme d’une succion
lente et liquide,
     méthodique
D’un vaste corps noir
Dans l’obscurité
Respire

Un cœur froid